Michel Le Guern, Études sur la vie et les Pensées de Pascal, Paris, Honoré Champion, 2015, coll. Champion Essais, n° 51, 270 pages, 36 euros.
Il faut attendre la note 6 du deuxième texte publié (p. 25) pour comprendre que Michel Le Guern réunit dans ce volume une vingtaine de textes dont bon nombre (tous ?) se sont trouvés dispersés depuis 1972 dans des revues parfois difficiles à trouver. Il aurait été utile de rappeler date et lieu de publications antérieures. Ces vingt textes (de 4 à 20 pages) dont la lecture est plaisante, traitent, à partir de textes de Pascal, de sujets très divers : aux indications biographiques succèdent des réflexions de stylistique ou métaphysiques. Biographie et lecture de l’œuvre sont inséparables.
Il faut lire à la suite plusieurs textes pour comprendre que Michel Le Guern va, dans ce volume, du particulier, voire de l’anecdotique (« Pascal et le tabac », Chroniques de Port-Royal, 1972) au général (« Les espaces symboliques de Pascal », Mots de l’espace…, 2007). L’organisation du volume s’inscrit aussi autour du « métier » que Michel Le Guern a exercé, celui de stylisticien (p. 196) : lecteur comme un autre, mais aussi lecteur qui analyse l’action de l’œuvre sur le lecteur.
C’est pourquoi « avant d’aborder les idées, il convient de regarder les mots » (p. 125). Michel Le Guern en analyse dans ces textes plusieurs : le divertissement (qui n’a pas forcément une connotation négative) (Théophilyon, Nov 2009), la charité qui est quasi synonyme de grâce et cœur (colloque de Clermont de janvier 2014), les ennemis, la preuve l’argument (154), le moi (Fait de l’analyse, 1997), la contrariété quasi synonyme de paradoxe (127). Michel Le Guern analyse aussi la fréquence, les moments de leurs apparitions, leurs variantes, ainsi infini, infinités, infiniment dans LG468, S452, Br 515) : charité a ainsi 42 occurrences dans Les Provinciales et 46 dans Les Écrits sur la grâce… L’analyse des mots peut aussi renvoyer à une problématique plus générale qui passe par une réflexion sur la « conciliation des contraires », avec ses influences aristotéliciennes et ses multiples conséquences notamment théologiques. « Pour entendre le sens d’un auteur, il faut accorder tous les passages contraires » : cette pensée de Pascal (LG 241, Sellier 289) est aussi à la base de la lecture de Michel Le Guern.
Ces mots sont employés dans le cadre d’une écriture où le pseudonyme a aussi sa place en fonction du support ou du sujet traité : Louis de Montalte, Amos Dettonville, Salomon de Tultis (Sémiotique et Bible, 1993). Ces mots construisent ou fondent un « style de Pascal » dans lequel la répétition, l’ellipse, la négation et la concision sont des composantes très importantes.
Ces mots de Pascal sont aussi en relations étroites avec des mots utilisés par des auteurs contemporains ou plus anciens (comme saint Augustin). Et Michel Le Guern se livre alors à une véritable traque dans les formulations trouvées dans l’œuvre de Pascal pour trouver trace de ses lectures et de leurs influences : Montaigne bien sûr, mais aussi des auteurs moins connus et moins étudiés comme Bonal (XVIIe, 2015) ou Huarte (Mélanges Gabriel-André Pérouse, 1997). Ces relevés ardus et parfois hypothétiques ne peuvent faire oublier que « l’inventaire de ses (Pascal) lectures est une tache sans fin » (p. 177) !
Tous ces textes sont contemporains d’un moment de l’avancée de la recherche et Michel Le Guern n’hésite pas à présenter de nouvelles hypothèses (comme par exemple dans la note de la page 189). il prolonge aussi de façon théorique et plus conceptuelle sa réflexion sur les images de Pascal commencée dans sa thèse soutenue en 1969 (L’Accès aux Pensées de Pascal, 1993).
La bibliographie en fin de volume cite de nombreux textes du XVIIe et du XVIIIe siècle, autant que des études plus récentes, (y compris la thèse inédite de doctorat de Muriel Bourgeois, soutenue en 2010, dont il souhaitait la publication).
À la fin du premier texte du volume (2013), qui revient sur certains épisodes de la vie de Pascal – et plus particulièrement sur l’accident de carrosse du Pont de Neuilly, Michel Le Guern affirmait : « Parmi les travaux qui aident à retrouver le vrai Pascal, il faut citer surtout ceux de Henri Gouhier (dont il fut l’élève), de Jean Mesnard, de Philippe Sellier. J’espère que ma propre contribution n’y aura pas été inutile. » Qu’il se rassure, ses livres, ses éditions et ses articles – y compris ceux qu’on regrette de ne pas avoir vus repris dans ce volume – sont des outils de référence pour tous ceux qui travaillent Pascal. Michel Le Guern a plaisir à lire Pascal (p. 196) et nous avec lui.