Cet ouvrage, le huitième de la collection Rochester Studies in Philosophy , réunit six articles déjà parus ailleurs, ainsi que deux autres, tout nouveaux, qui servent d’introduction et de conclusion à l’ensemble.
Le premier de ces huit chapitres commence par affirmer, fort justement, que le Pari vise à montrer non l’existence d’un Dieu, mais le caractère raisonnable du choix de croire en un Dieu. Il conviendrait d’ajouter que le Dieu dont il s’agit dans l’argument proprement mathémathique du Pari est le Dieu Souverain Bien de la liasse « Souverain Bien » et que le Pari devrait donc trouver sa place non au début des « Pensées » (contrairement à ce qu’affirme l’A. à la p. 8), mais dans la liasse « Commencement », où l’interlocuteur de Pascal accomplit un premier pas sur le chemin de la conversion au christianisme. L’A. souligne les difficultés bien connues que suscite, pour un croyant, la doctrine chrétienne traditionnelle relative à la création de l’homme, à sa Chute, et aux conséquences du Péché Originel, ainsi qu’à la sévérité de Dieu, selon une interprétation maximaliste du principe « Extra Ecclesiam nulla salus ». Ces difficultés sous-tendent les arguments les plus importants que l’A., dans son sixième chapitre, oppose à l’Apologie de Pascal.
Les trois chapitres suivants, qui composent la seconde partie de l’ouvrage, traitent des Provinciales. Le premier de ces chapitres affirme d’abord, non sans quelque vraisemblance, que Pascal, en proclamant qu’il ne se contente pas du probable mais qu’il cherche le sûr (p.84), dénie presque tout fondement à l’entreprise casuistique (p. 36). Il convient de signaler que, contrairement à la note 13 de la p. 33, Marguerite Périer était la nièce, et non la sœur, de Pascal. Ensuite, l’A. pose la question de la probité de la tactique rhétorique de Pascal et conclut qu’il faudrait y appliquer une casuistique assez accommodante pour la justifier (p. 39). Le chapitre suivant juge (p. 53) que l’idéal moral de Pascal est rébarbatif au point d’être aussi peu recommandable, selon l’honnêteté et le sens commun, que le laxisme des jésuites. Enfin, le dernier de ces trois chapitres invoque l’évolution historique des doctrines de l’Eglise pour rejeter l’hostilité que manifeste Pascal contre les nouveautés en théologie (p. 65).
Les trois chapitres qui constituent la troisième partie de l’ouvrage abordent certains thèmes relatifs aux Pensées . Le premier de ces chapitres affirme un subjectivisme radical chez Pascal : pour lui, selon l’A., tout ce qui persuade mérite le titre de preuve, la distinction entre les preuves valables et les autres étant finalement illusoire (p. 77 et p. 94). A ce propos, l’A. cite le fragment L109-S141, où il est dit que l’argument qui consiste à alléguer la conformité d’ap plication du langage parmi les hommes pour établir une conformité d’idée parmi eux n’est pas « absolument convaincant de la dernière conviction ». Il en conclut que, selon Pascal, il n’y a aucune distinction essentielle entre une preuve légitime et une preuve simplement efficace. Mais, au contraire, le fragment L109-S141 montre que Pascal distingue bien entre ces deux sortes de preuve. Ce qu’il rejette ici, ce n’est point le caractère certain de la conformité d’idée parmi les hommes, mais la possibilité de démontrer cette vérité de manière parfaitement concluante. Il est également inexact de prétendre (p. 92) que Pascal ne met jamais en doute la légitimité de la coutume comme source de conviction. Sur ce point, le fragment L193-S226 montre la nécessité de nuancer un tel jugement. Plus loin (p. 94), l’A . conclut que, selon Pascal, la lumière naturelle n’est jamais suffisante. Pourtant, Pascal écrit, au fragment L110-S142 : « Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison. Cette impuissance ne prouve autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils prétendent ».
Au chapitre suivant, l’A. oppose à Pascal l’objection du caractère mystérieux de la justice divine, par exemple, à propos de la transmission héréditaire du péché originel. Il convient de préciser que dans la lettre aux Roannez de fin octobre 1656 (l’ Intégrale de Lafuma, p. 267 et les O.C. III de Jean Mesnard, pp. 1035-1036), il faut lire « étrange secret » et non « « étranger secret », lecture suggérée à l’A. par une faute typographique dans le texte de Mesnard. L’A. affirme aussi (p. 107) qu’il faut bien que le dogmatisme ou le scepticisme soit vrai. Au contraire, il y a un juste milieu, choisi par Pascal, entre la thèse de l’inaccessibilité naturelle d’une parfaite certitude et celle de l’accessibilité naturelle d’une telle certitude (voir mon article « Pascal entre le dogmatisme et le scepticisme », Literaturwissenschaftliches Jahrbuch 1999, pp. 115-138). Enfin, les arguments de Pascal en faveur du christianisme sont bien de nature probabiliste (L835-S423), comme l’écrit Jean Prigent, cité et contredit sur ce point par l’A. (p. 108, n. 11). Dans le dernier des trois chapitres qui composent la seconde partie de l’ouvrage, l’A. se demande pourquoi Pascal n’évoque pas dans son Apologie l’expérience du « Mémorial ». A cela, il suffit de répondre que Pascal juge bon de ne pas tirer argument d’un événement dont ses adversaires auraient beau jeu de contester la réalité.
Dans le huitième et dernier chapitre, l’A. conclut qu’un mystère impénétrable entoure tant l’être que la justice du Dieu chrétien. Pascal lui donnerait raison sur ce point (L418-S680), sans pourtant lui accorder que cette vérité puisse légitimement amener l’incroyant à refuser de croire au christianisme.
On doit féliciter l’A. d’avoir réussi, malgré certaines erreurs, à résumer la pensée religieuse de Pascal de manière claire, érudite, et élégante.
(Cette recension a déjà paru dans la Revue Philosophique, no 1/2007, p. 116-117)