On se voit réduit, actuellement, à l’impossibilité de disserter sur l’ouvrage de jeunesse de saint Augustin : « De pulchro et apto », puisqu’il s’agit d’un traité disparu. En revanche, on peut, comme le fait l’auteur, reconstituer la pensée du docteur africain sur ce thème, grâce aux nombreux développements qu’il a disséminés dans plusieurs de ses autres écrits. Les concepts de « species » et de « forma » tiennent, visiblement, une place importante dans la réflexion esthétique d’Augustin. Très vite, ces mots orientent l’esprit vers l’idée de « convenance intégrée ». La beauté d’une partie du corps humain, la bouche ou la hanche, par exemple, doit être considérée comme s’insérant dans une totalité, en l’occurrence celle de l’organisme tout entier. Par ailleurs, l’influence de Plotin se fait sentir dans l’élaboration de la notion de forme. La beauté du corps se définit comme la « congruentia omnium partium » (cohésion de toutes les parties). Prévaut ici, comme le note l’auteur, la supériorité du dessin sur la couleur. Tout en prenant la défense du corps contre le dualisme platonicien, Augustin réserve le privilège de la beauté à l’âme. La « concordia carnis et spiritus » (harmonie de la chair et de l’esprit) confère à la partie spirituelle un rôle prédominant. Le corps n’est jamais si beau que lorsqu’il est totalement in-formé par l’âme. Le charme physique devient alors l’image du principe spirituel qui l’anime.
Si Dieu représente, dans le Phèdre déjà, le summum de toute beauté, dans la logique de l’incarnation chrétienne, le Christ en figure, désormais, l’image privilégiée et le seul médiateur. Sa mission de Sauveur fait qu’il rassemble et ré-unifie les créatures humaines, en les intégrant dans son propre corps. Il existe, pour l’évêque d’Hippone, une analogie certaine entre l’union hypostatique : Dieu – Christ et l’union mystique : Christ – Église. Ainsi, la beauté des choses sensibles trouve dans l’Incarnation, la forme même de Dieu. Pour Augustin, d’ailleurs, le Christ n’est pas seulement la voie d’accès, mais le but, la fin de la vision béatifique. S’il refuse, à l’inverse d’un Grégoire de Nysse, d’étendre à la vie future la progression infinie du désir, il admet quand même, que la créature, dans l’au-delà, continue d’éprouver l’appétit inépuisable de la vision, tout en la goûtant souverainement. Se maintient donc, au delà de la mort, la perpétuité du désir de la Beauté divine.
M. Fontanier observe, à la fin de son étude, que, dans la perspective de Plotin, le Bien se distingue nettement du Beau. En revanche, pour le penseur africain, le premier a besoin du second, puisqu’ « il n’y a rien de désirable au-delà de la Beauté et donc du Fils, beauté éternelle de Dieu » (p. 185). L’œuvre de saint Augustin ne saurait aucunement passer pour « misokale », car elle condamne non l’amour des beautés sensibles, mais plutôt la léthargie esthétique qui paralyserait et engourdirait tout esprit, se contentant de se soumettre aux sens et arrêtant sa contemplation à ce stade.
Cet ouvrage souligne, dans la pensée du docteur africain, une ouverture à l’esthétique, qui nous fait regretter, d’autant, la disparition du premier traité, consacré à la question. Cette ouverture tranche avec l’image la plus répandue et les études les plus traditionnelles que l’on consacre habituellement aux thèmes théologiques récurrents de liberté, de grâce et de prédestination. Elle illustre une des nombreuses facettes du génie d’Augustin et la problématique que soulève ce livre ne peut que rejoindre les centres d’intérêts les plus vifs de la réflexion moderne.