Le titre est une litote, car le Journal tenu du 14 avril 1655 au 6 septembre 1656 par ce gentilhomme poitevin devenu Solitaire aux Champs, n’occupe que cent quatre-vingt-quatorze pages sur un total proche de quatre cents ; pages néanmoins capitales, car l’auteur note par le menu tous les événements qui agitent Port-Royal au cours de ces seize mois qui virent les disputes en Sorbonne et la censure d’Antoine Arnauld pour ses Lettres à un duc et pair. Mois d’une polémique intense également dans la « société civile », C’est alors, en effet, que les amis d’ ‘Arnauld demandèrent à Pascal d’intervenir et que parurent les Provinciales, dont Saint-Gilles rend compte brièvement et assez froidement pour les premières avant d’être conquis dès la troisième et de travailler lui-même à leur impression.
L’image qu’il donne de ces querelles est assez sordide et assurément partiale – il ne faut pas oublier qu’il s’affirme « ami de la vérité » et « disciple de saint Augustin » et ne redoute pas le mot de janséniste–, mais il donne à ce qu’il dit l’accent de la vie. On y voit l’acharnement des jésuites contre Port-Royal, leurs manœuvres pour circonvenir la reine et le cardinal et la lâcheté (d’après lui) de prêtres ou d’évêques, qui d’abord admirateurs et défenseurs d’Arnauld, se laissent séduire et votent la censure, ou se montrent dans leurs sermons désormais hostiles au jansénisme, comme, à son grand étonnement, saint Vincent de Paul. Lorsque un de leurs libraire, Savreux, est emprisonné, et qu’ Arnauld est obligé de se cacher et de se déguiser pour éviter la Bastille, Saint-Gilles l’accompagne.
Le Journal ne se prive pas de railler les catéchismes allégoriques et animés, véritable théâtre dont les jésuites sont les ridicules metteurs en scène, comme Racine le racontera plus tard et que les Port-Royalistes trouvent burlesques et choquants. C’est aussi une évocation de la vie à Port-Royal et des multiples miracles obtenus par la Sainte Epine. Anecdotes et bons mots ne manquent pas,
Le style de ce Journal, qui n’était pas destiné à être publié, est parfois négligé et obscur ; en outre, les questions qu’il traite sont loin de nous et souvent les noms qu’il cite ne nous parlent guère, d’autant que les patronymes sont généralement remplacés par le nom d’une terre et que la coutume veut que l’on désigne un évêque par la capitale de son diocèse. Les notes de Jean Lesaulnier, extrêmement abondantes et précises, levant toutes les obscurités, permettent au lecteur de suivre parfaitement le récit et de le remplacer dan son contexte.
Le mérite de l’ouvrage ne s’arrête pas là. Au Journal, Jean Lesaulnier a joint tous les documents en rapport avec Saint-Gilles, en particulier sa correspondance avec les religieuses, avec des prêtres, des évêques, mais également avec le célèbre physicien hollandaisChristian Huygens, ainsi que son éloge par Sainte-Marthe, les notices du nécrologe de Port-Royal et jusqu’à son épitaphe, également annotées avec la même précision érudite que le reste.
Enfin, une introduction de trente-cinq pages, qui constitue une biographie complète de Saint-Gilles et éclaire ce que le Journal ne peut dire, contribue à faire de ce livre une somme, dont la lecture est extrêmement enrichissante aussi bien pour les profanes que pour les spécialistes de Port-Royal et de l’histoire religieuse du XVIIe siècle.