L’éminent philosophe et pascalien Pierre Magnard entreprend, dans ce volume émaillé de références aux Pensées, de montrer à ses contemporains que la religion est moins une cause des divisions entre les hommes que le remède indispensable à ces divisions, ainsi que la condition nécessaire et suffisante de l’union de l’humanité tout entière. Il souligne à ce propos que le mot « religion » n’admet pas de pluriel. En effet, si la vraie religion a de multiples avatars qui méritent tous le respect, il n’y a qu’un seul Dieu auquel elle vise à rattacher les hommes (38-43). L’articulation même de cet ouvrage en cinq parties, intitulées respectivement « Prologue », Généralités », « Particularités », « Singularité » et « Epilogue », témoigne bien de ce souci essentiel d’atteindre une unité universelle.
Dans « Prologue », P.M. propose d’abord une définition de la culture (« l’ensemble des signes symboliques….qui permet aux hommes et aux femmes d’une société donnée d’échanger entre eux ») et de la religion (« l’ensemble des croyances et des rites qui relient entre eux les humains, les associant dans la reconnaissance d’un bien commun, d’une communauté d’origine et de destinée, d’une identité partagée ») (27). Il distingue ensuite deux origines étymologiques du mot « religion », à savoir relegere (recueillir, séparer) et religare (relier, unir) (31). Effectivement, si la religion sépare, d’une part, en établissant le sacré et le mystère, elle relie aussi, et profondément, d’autre part, en unissant ses adeptes dans « la recherche d’une communion sans exclusive » (39). Puisqu’une tradition religieuse, que chaque génération doit transformer et transmettre à la suivante (30-37), unit ses croyants dans une même quête religieuse, le « Prologue » peut conclure que « l’étymologie religare (unir) semble prévaloir, auquel cas le mot religio ne saurait comporter de pluriel » (43).
La deuxième partie, « Généralités », propose pour ce mot une troisième origine étymologique qui complète les deux précédentes, à savoir relegare, c’est-à-dire situer dans un audelà, un ailleurs, l’accès à la maison commune des hommes, objet d’un pèlerinage qui ne peut s’achever ici-bas. Cela implique que seule la religion a comme raison d’être d’assurer, dans le respect de la singularité de chacun, la communion entre les hommes. Dans cette fonction primordiale, la société politique, dont les concepts fondateurs, tels celui de contrat ou de serment, sont spirituellement tributaires de la religion, ne saurait se substituer à cette dernière. L’homme a besoin de cette communion pour faire pleinement l’épreuve de ce qu’il a de commun avec les autres et pour s’assurer ainsi de son identité (74), de son être singulier. Il faut que chaque homme fasse retraite en soi-même pour donner des chances nouvelles à la communion avec les autres dans la quête de l’essentiel, de l’Absolu.
La troisième partie, « Particularités », recense les diverses oppositions spirituelles parmi les hommes : sédentaire, païen (enracinement)/nomade, pèlerin (délocalisation) ; lettre/esprit ; temporel/spirituel ; terre sainte accordée/arrachée ; prosélytisme/tolérance. P.M. note ce qui caractérise chacun des trois monothéismes à propos de la temporalité et l’éternité, de la filiation avec Abraham ou avec Dieu, de la littéralité des Ecritures et de leur universalité.
La quatrième partie, « Singularité », ramène le lecteur à ce que les diverses religions ont de commun. La religion ne peut être qu’unique, parce qu’elle a en charge l’unification du genre humain (125). Le critère de vérité d’une religion positive est la capacité qu’elle doit avoir de comprendre les autres religions (127). Foi et raison se complètent et doivent se concilier. C’est ainsi que le Christ est le Logos, à la fois objet de foi et principe de raison (128). Enfin, l’ « Epilogue » réaffirme le caractère unique et unificateur de la vraie religion. Tantôt P.M. affirme l’égalité des diverses religions (73, 74, 104, 151, 154, 155, 179, 185, 188, 195), tantôt il affirme, de manière discrète mais de plus en plus explicite, la primauté inter pares du christianisme, suprêmement unificateur par sa foi en Jésus-Christ, Fils du Père, Logos et Sauveur (93, 95, 96, 108, 113, 195).
Quel pascalien n’a pas rêvé d’une apologie qui réactualiserait les Pensées de Pascal ? Avec une remarquable érudition, pascalienne et autre, P.M. vient d’ouvrir la voie d’une très utile adaptation au monde contemporain de la plus belle des apologies chrétiennes. (Cette recension a déjà paru dans la Revue Philosophique, no 3/2009, p. 380-381)