Né à Bayonne dans une famille bourgeoise, Jean Duvergier fait ses premières études chez les jésuites d’Agen, et à Paris : il est reçu maître ès arts en 1600. Il étudie la théologie au collège jésuite de Louvain, puis approfondit sa connaissance de l’Église à la Sorbonne. Retourné en 1606 dans son pays natal, il reçoit un canonicat, qui lui permet de vivre. Menant de 1609 à 1616, à Camp-de-Prats, une vie très retirée, avec son ami hollandais Cornélius Jansénius, il travaille intensivement à l’étude de la Bible et des Pères de l’Église. En 1609, pour répondre à une question théologique que lui avait posée le roi Henri IV, il publie la Question royale et sa décision, « où il est montré en quelle extrémité, principalement en temps de paix, le sujet pourrait être obligé de conserver la vie du Prince, aux dépens de la sienne ».
Duvergier de Hauranne se lie avec l’évêque de Poitiers, Henri-Louis Chasteigner de La Rocheposay, ecclésiastique très cultivé, et membre d’une famille qui donnera plusieurs amis à Port-Royal. Dès 1615, il publie de manière anonyme son Apologie pour M. de Poitiers, où il soutient que les ecclésiastiques peuvent « avoir recours aux armes en cas de nécessité ». Il demeure dans le palais épiscopal de Poitiers, travaillant avec son maître sur la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin. L’évêque le nomme au chapitre cathédral et lui accorde un prieuré situé à Vouneuil, non loin de l’abbaye de Saint-Cyran en Brenne, dont La Rocheposay est l’abbé titulaire. Jean Duvergier est ordonné prêtre en 1618, et, deux ans plus tard, l’évêque de Poitiers lui résigne l’abbaye de Saint-Cyran, un bénéfice de 18 000 livres. Il continue à résider à Poitiers, où il fait la connaissance de Pierre de Bérulle, supérieur de la congrégation de l’Oratoire, et de son confrère Charles de Condren, ainsi que de Robert Arnauld d’Andilly, frère des mères Angélique et Agnès Arnauld : rencontre déterminante pour les relations entre Saint-Cyran et l’abbaye de Port-Royal. Après un voyage à Louvain, l’abbé de Saint-Cyran s’installe au cloître Notre-Dame à Paris. Devenu, en 1622, aumônier honoraire de la reine Marie de Médicis, il fréquente dès lors la Cour royale, tout en se livrant à une lente conversion spirituelle. Il rencontre chaque jour Bérulle, qu’il assiste de ses conseils dans le gouvernement de sa congrégation. Mais, en 1623, il quitte Paris pour aller aider l’évêque d’Aire-sur-Adour, Sébastien Bouthillier, pendant un an.
Lors de son voyage de retour, Duvergier passe rendre une visite à la mère Angélique Arnauld à Port-Royal des Champs. Cette première visite aux moniales de Port-Royal a lieu le mercredi 7 mai 1625, veille de l’Ascension : « M. de Saint-Cyran leur fit un très beau discours sur le sujet du mytère de l’Ascension, dont il fit voir le rapport admirable avec celui de l’Eucharistie », écrit la sœur Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly. La mère Angélique resta frappée de cette première rencontre avec un homme qui avait déjà correspondu avec elle : « Il me dit une parole qui me toucha beaucoup, qui fut qu’il avait vu beaucoup d’abbesses réformer leurs monastères, mais qu’il n’en avait pas vu réformer leurs personnes. Je me trouvai de ce nombre, quoique Dieu m’eût fait la grâce d’avoir beaucoup désiré d’être du petit nombre ». Et dans son autobiographie, l’abbesse écrira : « Je révérai dès lors ce saint homme comme très savant, mais je ne fus pas assez heureuse pour reconnaître sa sainteté, telle qu’elle était, ni de jouir dès lors du bonheur que Dieu semblait m’offrir, de prendre sa conduite ».
Saint-Cyran entre dès lors en relations suivies avec le monastère de Port-Royal, une fois installé au faubourg Saint-Jacques à Paris, peu après sa visite aux Champs. Il continue à soutenir Bérulle jusqu’à la mort du supérieur de l’Oratoire, en octobre 1629. Et dans les années 1630, il s’oppose à la Compagnie de Jésus dans deux occasions. D’une part, à propos de deux jésuites anglais, dont les livres sont censurés par la Sorbonne : Saint-Cyran publie, sous le nom de Petrus Aurelius, deux ouvrages où il s’en prend à la casuistique relâchée des jésuites et où il met en avant le rôle des évêques, sous-estimé par la Compagnie et, d’autre part, à propos du Chapelet secret du Saint-Sacrement, un petit écrit composé en 1626 par la mère Agnès Arnauld, il prend la défense des religieuses de Port-Royal, en réponse aux attaques du jésuite Étienne Binet, ancien directeur spirituel de Port-Royal des Champs. L’Apologie de Saint-Cyran (1633) n’empêche pas le pape Urbain VIII d’ordonner de détruire le Chapelet secret sans toutefois le condamner. Ces conflits accentuent la présence de Duvergier auprès des moniales, à Port-Royal de Paris et à l’Institut du Saint-Sacrement : cette dernière maison a été fondée par la mère Angélique Arnauld en 1633. L’année suivante, Saint-Cyran en devient le directeur spirituel, mais il va aussi confesser à Port-Royal de Paris, qui affronte alors diverses difficultés. L’abbé entre en conflit avec l’un des évêques supérieurs de l’Institut du Saint-Sacrement, Sébastien Zamet, évêque de Langres, – la maison ferme ses portes en 1638 –, comme il a des différends avec le cardinal de Richelieu. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps : Saint-Cyran a servi à plusieurs reprises le premier ministre de Louis XIII, et, pour éviter de s’en faire un adversaire redoutable, Richelieu offre à l’abbé l’évêché de Bayonne : il refuse. Il s’est opposé encore au cardinal-duc à propos du mariage secret de Gaston d’Orléans, frère du roi, avec Marguerite de Lorraine, mariage dont Saint-Cyran veut faire reconnaître la validité. Il exprime des opinions théologiques opposées à celles de Richelieu, sur l’attrition et la contrition. Depuis la fin de 1636, il demeure à Paris, dans la maison d’un ami, M. de Marcheville, près du couvent des chartreux, non loin de Port-Royal et du Luxembourg d’aujourd’hui.
Le mécontentement du premier ministre à l’égard de Duvergier atteint son comble quand Antoine Le Maistre, renonce, en 1637, à la profession d’avocat, où il excelle, et quand l’oratorien Claude Séguenot publie la traduction du traité de saint Augustin de la sainte Virginité (15 mars 1638), avec des Remarques, ouvrage qui est censuré par la Sorbonne et dont l’auteur est embastillé. Neveu des mères Agnès et Angélique Arnauld, Le Maistre se retire comme solitaire à Port-Royal de Paris, puis aux Champs, enfin à La Ferté-Milon : or Le Maistre est un dirigé de Saint-Cyran et les idées de Séguenot sont proches de celles du maître de Port-Royal. Il n’en faut pas plus pour Richelieu : Jean Duvergier de Hauranne est placé en détention au donjon de Vincennes, le 14 mai 1638, après avoir fait encore trois conférences, la veille, jour de l’Ascension, aux solitaires Le Maistre et ses frères à Port-Royal de Paris. Il supporte mal son emprisonnement : ses amis craignent pour sa santé, mais le gouverneur de Vincennes, le comte de Chavigny, intervient pour adoucir quelque peu la rigueur de la prison. Les visites des amis de Port-Royal et la correspondance qu’il entretient avec eux et avec les religieuses de Port-Royal, en particulier avec le jeune théologien Antoine Arnauld, permettent au prisonnier de continuer à poursuivre sa mission de directeur spirituel. Le procès qui est intenté à l’abbé ne donnera rien, avant la mort du premier ministre, survenue le 4 décembre 1642. Des amis interviennent alors en faveur de Saint-Cyran.
Le 6 février 1643, Duvergier de sort de Vincennes : il est conduit par Robert Arnauld d’Andilly directement au monastère de Port-Royal, au faubourg Saint-Jacques : par la suite, il y revient de manière régulière et reprend ses activités. Mais, éprouvé physiquement, il ne se remet pas de sa longue détention. Il a néanmoins le plaisir de voir publié, à la fin d’août 1643, un ouvrage qui fait alors beaucoup de bruit et rencontrera un succès inattendu, la Fréquente Communion, signée du jeune théologien Antoine Arnauld : Saint-Cyran en a suivi la composition depuis plusieurs années. Mais c’est en revanche durant son incarcération qu’a paru le gros ouvrage de son ami Jansénius, mort en mai 1638, l’Augustinus, paru à Louvain en 1640, à Paris en 1641 et à Rouen en 1642, dont la publication n’a pu que le réjouir.
Au début de l’automne, le vieil homme affaibli meurt le 11 octobre 1643. Il est inhumé le surlendemain à l’église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas en présence de ses amis et de la future reine de Pologne, Marie de Gonzague, et de six évêques : il y repose toujours. Son dernier et bref ouvrage, la Théologie familière, publiée avec son autorisation en décembre 1642 et censurée en janvier suivant par l’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, connaîtra de très nombreuses rééditions : il servira de catéchisme aux petites pensionnaires des moniales et aux élèves des Petites Écoles de Port-Royal, et deviendra le livre de chevet de tous les amis de l’abbaye. Personnalité hors du commun, Jean Duvergier de Hauranne déconcerte beaucoup de ses contemporains, mais il reste l’un des directeurs les plus emblématiques du renouveau spirituel catholique du XVIIe siècle, renouveau fondé d’abord sur la connaissance de l’Écriture et des Pères de l’Église.