En juin 1637, l’abbé de Saint-Cyran envoie quelques enfants à Port-Royal-des-Champs, sous la direction d’un prêtre d’une trentaine d’années, Antoine Singlin: les Petites-Ecoles de Port-Royal sont nées. Leur renommée vient aussi bien de l’excellence des maîtres (le grammairien Claude Lancelot, l’humaniste Pierre Nicole, Antoine Arnauld) que de l’éminence des élèves, dont le plus célèbre est Jean Racine, qui séjourna à Port-Royal vers 1655-1656.
D’abord installées à Paris dans la rue du Cul-de-sac Saint Dominique (actuelle impasse Royer-Collard), puis au Chesnay et au château de Troux (près de Port-Royal), les Petites-Ecoles se fixent définitivement sur le plateau des Granges avec la création en 1651-1652 d’un bâtiment à cet usage, connu encore de nos jours sous le nom de « bâtiment des Petites-Ecoles ».
Démarche révolutionnaire dans ses applications concrètes, cette célèbre institution émane de l’affection portée par Saint-Cyran aux enfants. Ayant comme principe fondamental le maintien de la grâce baptismale, finalité spirituelle de l’enseignement donné, les Messieurs de Port-Royal, excellents pédagogues (« ce ne sont pas des maîtres ordinaires », écrira Jean Racine dans son Abrégé de l’histoire de Port-Royal), mirent au point une méthode d’enseignement originale:
– enseignement révolutionnaire en français, alors que tous les collèges de l’époque, en particulier jésuites, n’utilisent que le latin, y compris pour enseigner… le latin lui-même! Port-Royal, le premier, enseigne le latin en français: »N’est-il pas plus naturel de se servir de ce qu’ils [les élèves] savent déjà pour leur enseigner ce qu’ils ne savent pas? Les Français savent déjà le français, dont ils connaissent une infinité de mots ; pourquoi donc ne pas leur faire apprendre à lire premièrement en français, puisque cette méthode serait beaucoup plus courte et moins pénible? » Ces remarques du pédagogue Thomas Guyot semblent aller de soi, elles heurtèrent pourtant profondément les pédagogues jésuites, campés à l’époque sur des positions humanistes rétrogrades ;
– les Solitaires, soucieux de ce qu’on appellerait aujourd’hui « les sciences de l’éducation », utilisent de nouvelles méthodes rédigées et expérimentées par eux-mêmes. Claude Lancelot publia ainsi des méthodes de versification et d’apprentissage des langues vivantes; la Grammaire, due à Lancelot et Arnauld (1660), et la Logique, composée par Arnauld et Nicole (1662), qui comptent parmi les oeuvres les plus importantes produites dans l’orbite de Port-Royal, appartiennent à l’ensemble des publications pédagogiques liées à l’activité des Petites Ecoles; Blaise Pascal rédigea de même une Nouvelle méthode pour apprendre à lire ;
– approche ludique de cet enseignement;
– abolition du châtiment corporel, rendu inutile par l’autorité des maîtres et le respect que leur porte les enfants;
– constitution de petits groupes de travail de cinq ou six élèves autour d’un précepteur, prêtre ou laïc. Le nombre totale d’élèves ne dépassa jamais plus de vingt-cinq à la fois.
– importance de la culture grecque, assez négligée au Grand Siècle; l’accent mis sur l’héritage hellénique influencera tout particulièrement la carrière de Jean Racine, qui tira de la mythologie grecque (connue de première main) l’argument de plusieurs de ses tragédies;
– remplacement de la plume d’oie par la plume métallique.
Vivant dans un univers volontairement clos (pour éviter les distractions et les mauvaises influences) et placé sous la vigilance régulière et constante (jour et nuit) d’un maître, l’enfant se lève entre cinq heures et six heures suivant la saison et se couche à vingt-et-une heures. L’éducation est complète: il s’agit de cultiver l’esprit (le jugement) et la volonté de l’enfant, de sensibiliser son âme, de développer son corps. Le maître doit rester vigilant, à la fois doux et intransigeant, sévère et charitable. Il lui faut aussi s’adapter aux capacités de chaque élève.
Considérant l’enfant comme un être distinct aux contours bien définis et non comme un être difforme (conception négative partagée, par exemple, par François de Sales), vigilance et régularité conditionnent la démarche pédagogique qui repose sur la devise de l’abbé de Saint-Cyran: « parler peu, beaucoup tolérer, et prier encore ». La modernité de Port-Royal, consécutive à la relation étroite entre le monastère et l’élite parisienne, réside dans l’osmose entre l’idéologie mondaine et la pédagogie des Petites-Ecoles.
Victime des soubresauts politiques consécutifs aux querelles jansénistes aussi bien que de la méfiance des jésuites qui voyaient en elles la concurrence d’une pédagogie rivale, les Ecoles ferment par ordre du roi en 1660.