Un temps de reconquête
L’esprit de Trente
Sur le plan religieux, le XVIIe siècle est celui de la reconquête catholique: il voit se terminer les guerres de religion qui ont mis la France à feu et à sang à la fin du XVIe siècle, et s’établir de plus en plus fortement la suprématie de l’Eglise romaine. Cette concorde ne s’obtient pas sans heurts; malgré l’Edit de Nantes, la paix civile est loin d’être acquise à la mort d’Henri IV, en 1610; elle ne le sera que dans les années 1630, lorsque le ministère du cardinal de Richelieu deviendra incontesté, après qu’il aura écrasé les derniers foyers de résistance protestante, en particulier La Rochelle, assiégée en 1627-1628.
Le concile de Trente (1545-1653), s’il n’a pas permis de restaurer l’unité des chrétiens, a redonné confiance aux catholiques en réaffirmant le bien-fondé de sa doctrine et l’autorité de l’Eglise de Rome, répondant ainsi aux virulents attaques des protestants luthériens et calvinistes. Aussi le début du XVIIe siècle est-il un temps d’optimisme religieux: création d’ordres (par exemple selui des Visitandines, fondée par sainte Jeanne de Chantal, amie de Mère Angélique et de saint François de Sales), réforme des monastères, moralisation du clergé, le tout dans un climat de flambée mystique qui traduit les hautes aspirations spirituelles. Si les jésuites, ordre de « Soldats du Christ » fondé dans le but exprès de contrecarrer l’influence des protestants réformés et dépendants directement du pape, sont souvent considérés comme les porte-drapeaux de la Contre-Réforme, ils ne sont pas les seuls promoteurs de l’esprit de Trente. Ainsi, le cardinal de Bérulle, adversaire des jésuites, est pourtant lui aussi une figure éminente de cette « Réforme catholique »: fondateur de l’Oratoire de France, homme politique plongé dans les polémiques, mais également grand spirituel, il fournit au catholicisme français une synthèse théologique dont l’influence prédominera pendant tout le siècle à travers un courant qu’on définit habituellement sous le nom d’ « Ecole française de spiritualité ».
Une Eglise autoritaire malgré des tentations gallicanes
La contrepartie de cette cohérence doctrinale retrouvée après le concile de Trente est le dogmatisme: l’Eglise catholique, qui ne peut plus se permettre de connaître de nouvelles divisions en son sein, pourchasse tous ceux qui sont suspectés de soutenir des propositions hétérodoxes. La clarification a pour prix un surcroît de rigueur et d’intolérance.
Contre les protestants, les catholiques réaffirment l’importance de l’institution et du clergé comme intermédiaires entre les fidèles et le sacré. Aussi l’Eglise prend-elle une forme monarchique et autoritaire, soudée autour de son chef, le pape. Elle crée des séminaires destinés à enseigner la doctrine chrétienne; elle renforce également le pouvoir des évêques, et soumet le clergé à un contrôle sourcilleux. Cette volonté de puissance de la part de Rome est parfois perçue comme un empiètement difficile à supporter, même parmi des catholiques sincères. En France, ces catholiques attachés aux prérogatives de l’Eglise nationale sont les gallicans. Un concordat, signé en 1516, assure d’ailleurs au roi de France d’importantes responsabilités dans l’Eglise du pays, en particulier dans les nominations aux abbayes et aux évêchés. La foi catholique, au XVIIe siècle, n’est en rien une affaire individuelle: elle ne peut se déployer que dans le cadre de l’institution écclésiale et suppose la soumission au prêtre et la participation à la vie de la communauté; toute opposition est sentie non comme une question de conviction personnelle, mais comme une menace sociale et politique.
L’humanisme dévot
Cet optimisme religieux donne naissance à ce que Henri Bremond, au début du XXe siècle, appelait « l’humanisme dévot », et qui répond au pessimisme profond de Luther et Calvin. Ceux-ci, en réaction contre à l’humanisme renaissant, et fidèle à la doctrine de saint Augustin (Ve siècle après-Jésus-Christ), dévaluaient en effet les capacités humaines: l’être humain est trop faible et trop corrompu pour arriver à rien faire de bien par lui-même. Depuis le péché d’Adam, il n’a en propre que la haine, l’égoïsme, l’orgueil et la soif de détruire; sa raison est impuissante à découvrir la vérité, sa volonté corrompue le pousse à faire le mal alors même qu’il souhaiterait faire le bien. On ne peut rien attendre de ce chétif individu, perdu dans un monde d’où la présence divine est indiscernable: seul Dieu peut le sauver et tâcher de mettre un peu de lumière et de bonté dans ce chaos, expliquent encore les réformateurs: parmi cette masse de perdition pécheresse, Dieu en sauve certains et en damne d’autres, selon une justice qui nous échappe, car nous sommes trop aveuglés par nos passions pour avoir la moindre idée de la véritable justice. Ainsi, Luther et Calvin ne rapetissent l’homme que pour faire ressortir, par contraste, la grandeur de Dieu, la dignité du sacré et la toute-puissance du Christ, dont la mort est capable de racheter de si grands pécheurs. Dans le cadre de cette théologie pessimiste, l’homme ne peut rien par ses propres forces: toutes les actions qu’il ferait par lui-même sont mues par sa cupidité; seule sa foi en Dieu peut le sauver.
Les catholiques (en particulier les jésuites) n’acceptent pas qu’il faille à ce point dégrader l’être humain, créature de Dieu, pour relever la dignité de son Créateur. Certes, l’homme n’est pas parfait, mais il n’est pas foncièrement porté vers le mal et fasciné par la mort, la ruine et la destruction; il y a encore de la bonté et de la générosité en lui, car le péché originel n’a pas ôté tous les bons mouvements que Dieu avait placés en Adam. Il ne s’agit que de l’aider à faire fructifier ces talents qu’il a reçus pour les mettre au service de Dieu et de son prochain: l’homme n’attend pas tout de Dieu, comme le pensent les calvinistes ; il peut coopérer à son salut. Cette confiance en l’homme – cet humanisme – se traduit par une confiance dans la sensibilité du chrétien: il est permis de le faire pleurer devant le spectacle du Christ en croix, il est légitime de le faire s’émerveiller du spectacle d’une église richement ornée, symbole du paradis, car ses sens et ses affections peuvent servir à le porter vers Dieu. C’est pourquoi les humanistes dévots s’appuient sur un art du faste et de la mise en scène — l’art baroque.
Sur le plan strictement théologique, les jésuites reconnaissent l’existence de la liberté humaine: alors que les protestants prétendent que l’homme est si dépravé qu’il est inévitablement attiré par le mal, ils pensent pour leur part que l’homme reste libre de choisir entre Dieu et Satan. Aussi s’attachent-ils à réconcilier la liberté humaine et la grâce de Dieu; c’est ce que tente de faire le jésuite Molina en 1588 dans son ouvrage intitulé La Concorde du libre arbitre et de la grâce: après le péché originel, Dieu donne à ses créatures une « grâce suffisante » que l’être humain est libre d’accepter ou de refuser. S’il l’accepte, cette grâce devient « efficace » et lui permet d’entrer dans l’Amour et d’être sauvé. Alors que, pour les protestants, les actions (ou « oeuvres ») accomplies sans la foi sont mauvaises, elles sont considérées comme bonnes dans la perspective catholique dans la mesure où elles procèdent de cette partie de l’âme qui n’a pas été contaminée par le péché.
Ce fondement théologique permet le développement d’un art joyeux et brillant, et d’une poétique fondée sur la fantaisie verbale et la métaphore: les talents artistiques ne demandent eux aussi qu’à être mis au service de la religion, en exaltant l’humanité en marche vers la Rédemption, déjà engagée sur le chemin d’un ciel qui s’entr’ouvre dès la vie présente.
Les permanences de la tradition augustinienne
Cet optimisme et cette confiance sont une nouveauté dans l’histoire de l’Eglise catholique: elles prolongent l’humanisme de la Renaissance et adaptent le christianisme à la modernité. Mais la nouveauté n’est pas une valeur en matière religieuse: c’est même un péché très grave. La doctrine professée avant la Réforme par tous les chrétiens d’Occident s’appuyait, outre sur les Ecritures saintes, sur les textes des Pères de l’Eglise, en particulier ceux de saint Augustin. Or, ceux-ci avaient inspiré les réformateurs: l’idée d’une faiblesse extrême de l’homme qui, corrompu depuis le péché d’Adam, attend tout de la grâce bienveillante de Dieu, vient en effet des textes d’Augustin, en particulier le De Corruptione et gratia (La correction et la grâce).
Tout un courant de la pensée religieuse se trouva ainsi en porte-à-faux: sincèrement catholiques et pourtant attachés à la vieille tradition augustinienne, ses tenants eurent à se défendre sans cesse de l’orthodoxie de leur foi. Les choses étaient d’autant plus complexes que, pendant tout le siècle, jamais l’Eglise catholique n’a voulu renier l’autorité prédominante d’Augustin, « docteur de la grâce », et que l’augustinisme reste l’ « idéologie » la plus répandue à l’époque. Le concile de Trente n’avait d’ailleurs pas pris parti sur cette question de l’augustinisme, trop certain que les évêques de cette assemblée n’auraient pu tomber d’accord. La crise était donc inévitable: elle s’est cristallisée dans ce qu’on appelle le « jansénisme » dont le foyer le plus important fut Port-Royal.