Les ravages du temps ont épargné la petite chapelle du monastère cistercien de Port-Royal de Paris, qu’on peut encore visiter aujourd’hui, et qui reste un lieu voué au culte (un office y est célébré chaque dimanche).
Cette chapelle est originale à plus d’un titre. Ainsi, la place dévolue aux laïcs (c’est-à-dire aux simples chrétiens, par opposition aux clercs) est inédite : l’architecte Le Paultre a rompu non seulement avec la solution médiévale, qui reléguait le laïc derrière un jubé, au fond de l’Église, mais aussi avec la solution la plus fréquemment adoptée par les églises contre-réformées, et qui consiste à placer le public laïc dans une nef construite à angle droit par rapport au chœur des religieuses : à Port-Royal, le laïc est placé juste devant l’autel, et devient donc le premier assistant de l’office.
De tels choix architecturaux sont révélateurs de choix ecclésiologiques du mouvement de Port-Royal : en mettant les laïcs plus près de l’autel que les religieuses, il s’agit d’amener le laïc à des exigences aussi élevées que celles du clerc. Placé entre les célébrants et le chœur des anges, le laïc est dans une situation spatiale qui souligne autant que faire se peut leur proximité spirituelle. A la différence des dispositions spatiales retenues dans les autres monastères, la chapelle de Port-Royal insiste sur le sacerdoce du laïc commun aux religieuses et aux fidèles. En ce sens, la chapelle de Port-Royal, lourde d’une signification ecclésiologique, exprime parfaitement la volonté du mouvement d’affirmer l’éminente dignité du laïc à une époque où elle est souvent méconnue.
La chapelle, tout en s’inscrivant dans l’architecture catholique de son temps, apparaît beaucoup plus sobre et dépouillée que les autres édifices religieux qu’on construisait alors, et qui s’inspiraient des modèles tridentins italiens.
Porches d’entrée, peintures, sculptures originellement prévus par les plans de Le Paultre ont été retranchés sans doute par souci d’économie, mais aussi pour des raisons plus profondes:
d’ordre esthétique d’abord:la sobriété de la chapelle de Port-Royal, tout en s’inscrivant dans l’architecture issue de la Réforme catholique (elle exalte la Présence réelle et reconnaît une place au laïc), refuse les tendances baroques qui se manifestent alors dans les églises consttuites à cette époque, comme à la Sorbonne. La chapelle de Port-Royal est ainsi un témoignage du passage d’une esthétique « baroque » du merveilleux et de la surprise des sens (comme à Saint-Louis des jésuites) à une esthétique classique des proportions, de la raison et de la logique. La chapelle est ainsi un lien ou se manifeste le refus de l’art italien et le passage du baroque au classicisme, si important pour l’identité françaice.
d’ordre religieux ensuite: il faut voir la marque de Port-Royal dans cette chapelle qui refuse tout triomphalisme pour privilégier l’intériorité, et qui conjugue la pauvreté spirituelle voulue par les Béatitudes avec les exigences du goût classique en ce qu’il a de réservé et de sobre. Par cette liaison étroite entre les exigences de la religion et celles de l’art, elle exprime bien, au même titre que d’autres oeuvres plus connues, le sens de l’entreprise de Port-Royal.
Source: Bernard Chédozeau, « La chapelle de Port-Royal de Paris », in Chroniques de Port-Royal, numéro spécial, 1991.