Présentation du livre en quatrième page de couverture
Le salut est-il, aujourd’hui, une notion périmée ? L’enquête menée ici tend à prouver qu’il est loin d’avoir perdu toute actualité. Le mot est bien présent dans le langage quotidien, et dans des usages parfois surprenants. Et le thème lui-même, à y chercher de près, n’est pas absent des grandes philosophies de la modernité. Qu’est-ce que le salut ? De quoi aurions-nous à être « sauvés » ? Comment cet éventuel salut s’opère-t-il ? Et que faire alors de nos interrogations sur la mort, sur les fautes, sur la foi et sur une victoire, une libération possibles ? Ces questions difficiles et essentielles sont ici prises au sérieux, de façon claire et raisonnée, par une réflexion de nature philosophique (où l’on croise notamment Épicure, Pascal, Spinoza, Nietzsche et Heidegger) et en dialogue avec le christianisme.
Compte rendu par le père Dubray
Si le thème du salut est le sujet central du livre, l’auteur reconnaît, d’emblée, le caractère usé, voire démonétisé du terme lui-même. Cependant, pourquoi, se demande-t-il devrait-on le considérer comme étranger à la réflexion philosophique, préoccupée jusqu’ici de notions, beaucoup plus abstraites ? Une semblable tentative de réhabilitation mériterait d’être menée, également, à l’égard de la notion de croyance. D’une manière générale, les croyances, sans être totalement rationnelles se révèlent plus ou moins raisonnables. Dans l’optique de W. James, elles peuvent même être envisagées sous un angle très pragmatique et conduisent à poser la question suivante : en quel sens sont-elles bonnes pour celui qui y adhère ? Ne requièrent-elles pas d’être évaluées moins en fonction de la vérité qu’elles prétendent transmettre qu’en raison des effets qu’elles produisent dans l’existence de celui qui les adopte ?
Les différents systèmes de pensée et les comportements les plus quotidiens trahissent, chez les humains, un universel refus de la mort, lié à la peur qu’elle suscite, en tant qu’envisagée comme « fin de la vie » (p. 82). Cette relation apeurée, angoissée produit sur l’individu des effets qu’on peut qualifier de « dyspraxiques » (nocifs) tandis qu’une croyance qui les atténue ou les réduit mérite d’être taxée d’ « eupraxique » (bénéfique). Le ch. III consacré à la notion de faute aborde le problème éthique et invite expressément le lecteur à envisager la situation où l’homme, de lui-même, sans aucune pression extérieure et, en toute connaissance de cause, commettrait le Mal. Cette fascination éprouvée pour les différentes formes de péché que l’auteur énumère : gloutonnerie, luxure, orgueil, homicide… semble dériver du déni de la mort et du désir de prolonger la vie : « Le fait que nous péchions dans la vie ordinaire, c’est-à-dire les principales fautes morales qu’il nous arrive de commettre s’explique, au moins en partie, par notre représentation de la mort comme fin de vie et la façon dont nous nous y rapportons » (p. 171).
Le ch. IV vise à déterminer le sens exact du terme « résurrection » en le différenciant des concepts voisins et solidaires de libération, de salut, de rédemption. Ce dernier vocable oriente l’esprit vers l’idée d’un rachat ou d’une « satisfaction » obtenus par quelqu’un et, du coup, c’est la conception même de péché originel qui est appelée à un total réexamen. Adam et Eve représentent moins le couple primitif que les êtres humains en général, habités par une propension originaire et spontanée à se laisser fasciner par le Mal et à le commettre. En ce sens, le péché et la tendance au péché restent bien originels, c’est-à-dire inscrits dans la structure et les conditions d’exercice de l’existence. C’est précisément dans ce domaine que la foi en la résurrection représente un moyen d’amélioration éthique de l’existence, par la libération qu’elle implique vis-à-vis de ces atavismes pécheurs, susceptibles de dégénérer en véritable esclavage. Le christianisme constitue donc une option existentielle viable, une forme qu’il est raisonnable de donner à sa vie.
Les conclusions de l’ouvrage invitent à « soulever la chape heideggérienne » qui pèse sur la culture moderne et consiste à décrire l’être humain comme « un être-pour-la-mort », faisant de ce thème une sorte d’horizon indépassable de la réflexion contemporaine. Dans la mouvance des écrits pascaliens, l’auteur soutient que la foi constitue une sorte de pari sur l’efficacité de la croyance en la résurrection. Si c’est notre intérêt bien compris de parier, en faveur de l’existence de Dieu c’est également le nôtre de parier sur l’efficacité salutaire du fait de croire « qu’en se relevant le Christ a vaincu la mort » (p. 303). Contrairement aux accusations nietzschéennes et en évitant le piège d’un moralisme étouffant pratiqué par certains fidèles, on peut soutenir que la doctrine chrétienne est « affirmative » et non « réactive », que la résurrection apporte une contradiction fondamentale à la mort, à la souffrance, à l’humiliation, à la « méchanceté du méchant ». Aux yeux des grands théologiens occidentaux, S. Augustin et S. Thomas d’Aquin, le christianisme incarne d’ailleurs un véritable eudémonisme, ouvrant la voie au bonheur véritable.
Ce livre s’inscrit dans un courant apologétique pascalien revu et approfondi, qui se montre en tant que tel peu soucieux de renouveler l’argumentation des théodicées traditionnelles. Dans ce sillage, la foi est davantage définie et préconisée en raison de ses qualités positives, de sa capacité à transformer l’existence humaine qu’en raison de ses titres à détenir la vérité. Dans le désarroi actuel et général des sagesses et des croyances, elle ose prétendre conserver sa séduction propre et continuer d’exercer une puissance d’attraction aussi discrète qu’efficace.